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Adolphe

Anecdote trouvée dans les papiers d’un inconnu

Lettre à l’éditeur

Benjamin Constant
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Je vous ren­voie, mon­sieur, le ma­nus­crit que vous avez eu la bonté de me confier. Je vous re­mer­cie de cette com­plai­sance, bien qu’elle ait ré­veillé en moi de tristes sou­ve­nirs que le temps avait ef­fa­cés. J’ai connu la plu­part de ceux qui fi­gurent dans cette his­toire, car elle n’est que trop vraie. J’ai vu sou­vent ce bi­zarre et mal­heu­reux Adolphe, qui en est à la fois l’au­teur et le héros; j’ai tenté d’ar­ra­cher par mes conseils cette char­mante El­lé­nore, digne d’un sort plus doux et d’un coeur plus fi­dèle, à l’être mal­fai­sant qui, non moins mi­sé­rable qu’elle, la do­mi­nait par une es­pèce de charme, et la dé­chi­rait par sa fai­blesse. Hélas! la der­nière fois que je l’ai vue, je croyais lui avoir donné quelque force, avoir armé sa rai­son contre son coeur. Après une trop longue ab­sence, je suis re­venu dans les lieux où je l’avais lais­sée, et je n’ai trouvé qu’un tom­beau.

Vous de­vriez, mon­sieur, pu­blier cette anec­dote. Elle ne peut dé­sor­mais bles­ser per­sonne, et ne se­rait pas, à mon avis, sans uti­lité. Le mal­heur d’El­lé­nore prouve que le sen­ti­ment le plus pas­sionné ne sau­rait lut­ter contre l’ordre des choses. La so­ciété est trop puis­sante, elle se re­pro­duit sous trop de formes, elle mêle trop d’amer­tumes à l’amour qu’elle n’a pas sanc­tionné; elle fa­vo­rise ce pen­chant à l’in­cons­tance, et cette fa­tigue im­pa­tiente, ma­la­dies de l’âme, qui la sai­sissent quel­que­fois su­bi­te­ment au sein de l’in­ti­mité. Les in­dif­fé­rents ont un em­pres­se­ment mer­veilleux à être tra­cas­siers au nom de la mo­rale, et nui­sibles par zèle pour la vertu; on di­rait que la vue de l’af­fec­tion les im­por­tune, parce qu’ils en sont in­ca­pables; et quand ils peuvent se pré­va­loir d’un pré­texte, ils jouissent de l’at­ta­quer et de la dé­truire. Mal­heur donc à la femme qui se re­pose sur un sen­ti­ment que tout se réunit pour em­poi­son­ner, et contre le­quel la so­ciété, lors­qu’elle n’est pas for­cée à le res­pec­ter comme lé­gi­time, s’arme de tout ce qu’il y a de mau­vais dans le coeur de l’homme pour dé­cou­ra­ger tout ce qu’il y a de bon!

L’exemple d’Adolphe ne sera pas moins ins­truc­tif, si vous ajou­tez qu’après avoir re­poussé l’être qui l’ai­mait, il n’a pas été moins in­quiet, moins agité, moins mé­con­tent; qu’il n’a fait aucun usage d’une li­berté re­con­quise au prix de tant de dou­leurs et de tant de larmes; et qu’en se ren­dant bien digne de blâme, il s’est rendu aussi digne de pitié.

S’il vous en faut des preuves, mon­sieur, lisez ces lettres qui vous ins­trui­ront du sort d’Adolphe; vous le ver­rez dans bien des cir­cons­tances di­verses, et tou­jours la vic­time de ce mé­lange d’égoïsme et de sen­si­bi­lité qui se com­bi­nait en lui pour son mal­heur et celui des autres; pré­voyant le mal avant de le faire, et re­cu­lant avec déses­poir après l’avoir fait; puni de ses qua­li­tés plus en­core que de ses dé­fauts, parce que ses qua­li­tés pre­naient leur source dans ses émo­tions, et non dans ses prin­cipes; tour à tour le plus dé­voué et le plus dur des hommes, mais ayant tou­jours fini par la du­reté, après avoir com­mencé par le dé­voue­ment, et n’ayant ainsi laissé de traces que de ses torts.

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Copyright ©Benjamin Constant, 1816
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Date of publicationJune 2000
Collection RSSWorldwide Classics
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